Shakespeare, je pense, n’a tout simplement pas besoin de présentation. S’il ne devait y avoir qu’un auteur sur Propagerlefeu, il ferait partie des candidats très sérieux.

Edition de référence :

La Pléiade [par défaut]

7 tomes parus.

Les Tragédies sont en deux tomes, disponibles sous coffret

Les Histoires sont en deux tomes, disponibles sous coffret

Les Comédies sont en trois tomes, disponibles sous coffret

compter 70 €/volume environ.

Le texte est bilingue, ce qui n’est pas très habituel pour la collection.

Les Sonnets ne sont pas encore parus et constituront sans doute le dernier volume.

Livre(s) et ressource(s) recommandables :

Les études sur Shakespeare sont bien sûr innombrables. J’alimenterai donc cette rubrique très modestement, au fil de mes lectures ; et pour commencer :

  • Eugène Green, Shakespeare ou la lumière des ombres, éditions Desclée de Brouwer, août 2018, 312 pages (19 €)

…Qui a l’avantage d’être divisé en deux parties également utiles :

Première partie – « Les ombres » (128 pages)

La première partie est une biographie du poète (bien que l’auteur se défende d’écrire une biographie ; comme le font d’ailleurs tous les biographes). Eugène Green compare la vie de Shakespeare à une œuvre caravagesque où des zones de lumière vive sont entourées d’ombres et il se donne la tâche de bien préciser les faits connus de la vie de Shakespeare (les zones lumineuses), puis de les relier autant que possible entre elles, plutôt qu’essayer de percer les zones obscures (les faits inconnus de la vie du poète).

La biographie est donc courte, idéale à mon avis à qui veut s’en faire une idée rapide (dans un style plus agréable et pédagogique que l’article Wikipédia car Eugène Green, dans de courts chapitres bien conçus, fait un point sur la construction culturelle et politique de l’Angleterre, le théâtre anglais des années 1590, etc.)

La particularité de cette biographie est peut-être d’insister sur les penchants catholiques de Shakespeare et de sa famille.

Deuxième partie – Une clarté obscure

Eugène Green poursuit l’exploration de Shakespeare par le texte et l’on y voit son rapport à l’organisation sociale (la foule, l’aristocratie, l’étranger au groupe social…), à la femme, à l’amour, etc. Il y étudie sa manière poétique et les rapports de ses pièces avec la tragédie au sens premier (la purification et le rétablissement de l’ordre par la mort réelle ou symbolique d’un homme coupable d’une souillure/d’une faute contre le sacré).

Il manque au livre d’Eugène Green un index des pièces citées, qui aurait été bien utile (même si le livre est de format court et qu’un feuilletage rapide permet de s’y retrouver).

Appendice

L’épiloque est suivi d’un appendice qui manquerait fortement s’il n’y était pas : Eugène Green fait un point sur les représentations physiques de Shakespeare, sur la manière de le jouer, la prononciation de ses vers et sur la possibilité de leur traduction. Comme la traduction de Shakespeare est une des raisons qui m’ont fait me lancer dans la création de « Propagerlefeu » arrêtons-nous un instant là-dessus : Eugène Green reprend différentes traductions d’une réplique célèbre de Macbeth (qui se termine par « C’est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »). Celles de :

  • François Guizot (1821)
  • François-Victor Hugo (1866)
  • Yves Bonnefoy (1983)
  • Jean-Michel Déprats (2002) – La Pléiade
  • André Markowicz (2008)

…Avant de nous proposer sa propre version.

La conclusion que Shakespeare est intraduisible de manière satisfaisante n’apporte rien aux francophones mais cette mise en parallèle me confirme que les traductions de François-Victor Hugo et de Jean-Michel Déprats sont toutes deux très belles (voir les commentaires ci-dessous par les intervenants).

Sur l’ensemble du livre :

Le style de l’auteur (qui, de manière un peu paradoxale, refuse comiquement les anglicismes) est très personnel. En particulier, il a une véritable obsession pour « l’oxymore baroque » qui doit bien être citée 40 fois dans le livre (sujet d’un autre essai de l’auteur). Ce style personnel agace parfois, mais la lecture était franchement intéressante (en plus nous sommes prévenus par le sous-titre en pages intérieures : il s’agit d’un portrait subjectif). J’aurais aimé que la seconde partie soit plus fouillée, mais bien sûr on pourrait l’étendre sur les centaines de pages et le livre perdrait son format court. L’index des pièces citées (pour une réédition ?) aurait été la cerise sur le gâteau.

Note pour mémoire : l’auteur a publié un portait subjectif de Fernando Pessoa qu’il m’intéressera de lire…

A vous de jouer maintenant !

Pour mémoire, l’édition citée est suivie de la mention [par défaut] qui apparaît s’il n’y a pas encore eu de discussion sur le sujet.

En commentaires, libre à vous de :

  • discuter des mérites et défauts des différentes éditions
  • de la place de l’auteur ou de l’oeuvre dans la culture de son temps
  • de l’importance de l’auteur ou de l’oeuvre pour un lecteur contemporain
  • de ce qu’il représente pour vous
  • des livres ou autres sources très recommandables pour comprendre l’auteur / l’oeuvre / son influence
21 réponses
  1. DraaK fut là
    DraaK fut là dit :

    Restif, sur la page « Villon », me demande :
    « Ah, mon cher Draak, une question : vous avez dit avoir été étonné par la qualité d’une traduction du monologue d’ Hamlet qui vous révéla que Desprat n’était pas le maestro incomparable que vous pensiez. De qui était cette traduction? J’avoue que j’apprécie énormément celles de François Marie Hugo. Dans les modernes, Pierre Leyris (Aubier) est à mes yeux un des meilleurs « passeurs » qui soit. D’ailleurs, avant la mode partie du théâtre pour lequel travaillait Desprat (or n’est-ce pas on lit les pièces…) je suis certain qu’il aurait eu un rôle capital dans une nouvelle édition Pléiade de Shakespeare. »

    Pas la moindre idée, cher Restif. Mais nul doute que les discussions sur la page « Shakespeare » me permettront de la retrouver. Le film d’animation était « Rio 2 », je pense. Je vais tenter d’élucider cela…

    Répondre
    • Szenes Domonkos
      Szenes Domonkos dit :

      Faute de compétences suffisantes, je ne saurais décider de la meilleur traduction et/ou édition de Shakespeare, par contre, pour borner le débat, il me semble (formule polie pour déguiser ma certitude) qu’en aucun cas on ne saurait se contenter d’une seule traduction d’une pareille oeuvre, qui compte tant de dimensions, et non plus se dispenser d’au moins une édition bilingue. Impossible, même pour un béotien comme moi dans la langue de… Shakespeare, de se priver de la confrontation au texte original, jusque dans son obscurité, sa musique dissonante (pour mes oreilles habituées à des musiques plus latines, et c’est un compliment, pas une réserve ou une critique).
      Bref, je ne sais pas ce que c’est que Shakespeare, je ne sais même pas ce qu’il n’est pas, mais comme aurait dit (approximativement) un certain autre, c’est pas parce qu’on ne sait rien qu’on doit la fermer !

      Répondre
    • Szenes Domonkos
      Szenes Domonkos dit :

      Il est question dans la citation de Restif par Draak d’un certain « François Marie Hugo » qui me laisse dubitatif : est-ce la plume de Restif ou celle de Draak qui a fourché ? (Ah, toujours la même histoire, le Prophète rapporte la voix céleste qu’il a entendue, le disciple aussitôt la rapporte en la déformant, et voilà comment naissent les religions…)
      Je connais certes un François-Victor Hugo, dont il doit s’agir en l’occurrence, mais point de Marie… A moins qu’il s’agisse d’un nom-valise avec Bernard Marie Koltès qui a, à son actif, quelque tentative de traduction shakespearienne… (Le Conte d’Hiver, je crois ; version que je ne connais pas et je le regrette, car il s’agit d’une de mes pièces préférées.) Ce serait amusant.

      Répondre
      • DraaK fut là
        DraaK fut là dit :

        Je l’ai !

        Ci-après, Traductions :
        YB – Yves Bonnefoy (Folio classique)
        JD – Jean-Michel Déprats (la Pléiade)
        HC – Hector le cacatoès (Rio 2, à 19 minutes 19) – source ?

        YB – Etre ou n’être pas. C’est la question.
        JD – Etre, ou ne pas être, telle est la question.
        HC – Etre ou ne pas être, telle est la question.

        YB – Est-il plus noble pour une âme de souffrir
        JD – Est-il plus noble pour l’esprit de souffrir
        HC – Y a-t-il plus de noblesse d’âme à souffrir

        YB – Les flèches et les coups d’un sort atroce
        JD – Les coups et les flèches d’une injurieuse fortune
        HC – la fronde et les flèches d’une outrageante fortune

        YB – Ou de s’armer contre le flot qui monte
        JD – Ou de prendre les armes contre une mer de tourments,
        HC – Ou bien à s’armer contre une mer de douleur

        YB – Et de lui faire front, et de l’arrêter ? (Mourir, dormir,)
        JD – Et, en les affrontant, y mettre fin ? (Mourir, dormir,)
        HC – Et à l’arrêter par une révolte ?

        YB – Rien de plus ; terminer, par du sommeil,
        JD – Rien de plus, et par un sommeil dire : nous mettons fin

        YB – La souffrance du cœur et les mille blessures
        JD – Aux souffrances du coeur et aux mille chocs naturels

        YB – Qui sont le lot de la chair : c’est bien le dénouement
        JD – Dont hérite la chair ; c’est une dissolution

        YB – Qu’on voudrait, et de quelle ardeur !… Mourir, dormir
        JD – Ardemment désirable. Mourir, dormir,

        YB – Dormir, rêver peut-être. Ah, c’est l’obstacle !
        JD – Dormir, rêver peut-être, ah ! c’est là l’écueil.

        YB – Car l’anxiété des rêves qui viendront
        YB – Dans ce sommeil des morts, quand nous aurons
        JD – Car dans ce sommeil de la mort les rêves qui peuvent surgir,
        JD – Quand nous aurons

        YB – Chassé de nous le tumulte de vivre,
        JD – quitté le tourbillon de vivre,

        YB – Est là pour retenir, c’est la pensée
        JD – Arrêtent notre élan. C’est là la pensée

        YB – Qui fait que le malheur a si longue vie.
        JD – Qui donne au malheur une si longue vie.

        YB – Qui en effet endurerait le fouet du siècle,
        JD – Car qui voudrait supporter les fouets et la morgue du temps,

        YB – L’orgueil qui nous rabroue, le tyran qui brime,
        JD – Les outrages de l’oppresseur, la superbe de l’orgueuilleux,

        YB – L’angoisse dans l’amour bafoué, la loi qui tarde
        JD – Les affres de l’amour dédaigné, la lenteur de la loi,

        YB – Et la morgue des gens en place, et les vexations
        JD – L’insolence du pouvoir, et les humilations,

        YB – Que le mérite doit souffrir des êtres vils,
        JD – Que le patient mérite endure des médiocres,

        YB – Alors qu’il peut se donner son quitus
        JD – Quand il pourrait lui-même s’en rendre quitte

        YB – De rien qu’un coup de dague ? Qui voudrait ces fardeaux,
        JD – D’un coup de dague ? Qui voudrait porter ces fardeaux,

        YB – Et gémir et suer une vie de chien,
        JD – Pour grogner et suer sous une vie harassante,

        YB – Si la terreur de quelque chose après la mort,
        JD – Si la terreur de quelque chose après la mort,

        YB – Ce lieu inexploré dont nul voyageur
        JD – Contrée inexplorée dont, la borne franchie,

        YB – N’a repassé la frontière, ne troublait
        YB – Notre dessein, nous faisant préférer
        YB – Les maux que nous avons à d’autres non sus ?
        JD – Nul voyageur ne revient, ne déroutait la volonté
        JD – Et ne nous faisait supporter les maux que nous avons
        JD – Plutôt que fuir vers d’autres dont nous ne savons rien ?

        YB – Ainsi la réflexion fait de nous des lâches,
        JD – Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches,

        YB – Les natives couleurs de la décision
        JD – Et ainsi la couleur première de la résolution

        YB – Passent, dans la pâleur de la pensée,
        JD – S’étiole au pâle éclat de la pensée

        YB – Et des projets d’une haute volée
        JD – Et les entreprises de grand essor et de conséquence

        YB – Sur cette idée se brisent, ils y viennent perdre
        JD – Se détournent de leurs cours

        YB – Leur nom même d’action… Mais taisons-nous,
        JD – Et perdent le nom d’action. Mais silence,

        YB – Voici la belle Ophélie… Nymphe, dans tes prières,
        JD – La belle Ophélie ! Nymphe, dans tes prières

        YB – Souviens-toi de tous mes péchés
        JD – Souviens toi de tous mes péchés.

        Répondre
  2. Restif
    Restif dit :

    Oui j’ai fait une erreur, et je l’assume (outre le fait que dernièrement j’avais clamé mes doutes en matière d’onomastique de l’angliciste hugolien). Mais je l’assume! Plus que ça, dans une démarche dont la noblesse n’échappera qu’aux rats lépreux d’une civilisation patriarcale dépassée, par un geste augurale, je dépasse l’écriture inclusive pour oser la modification pro-féministe des noms célèbres. D’où l’ajout de ce « Marie » plein de goût à François. On peut désormais s’y habituer : Franz Madeleine Kafka, Marcel Loanna Proust, enfin vous avez compris. Domonkos, j’en suis persuadé (je suis très psychologue) me suivra. Évidemment, le prénom masculin reste encore (encore!) devant son parèdre féminin. Mais j’ai la foi, c’est une question d’habitude. J’espère bien qu’en 2076 nous aurons des « as-tu lu Gustavine Flaubert » -car on aura encore avancé! Avenir sublime. Vive l’onomastique inclusive.
    Je voulais plaider pour l’édition Bouquins de Shakespeare, les premiers à avoir fait une intégrale bilingue de l’écrivain, l’édition de référence pour Jean -Yves Masson (notamment en ce qui concerne la traduction des sonnets) mais l’incurable manque de sérieux qui règne ici me l’interdit (et dire un mot en faveur de l’ancienne édition Pléiade en deux volumes. Franchement, pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, le texte original n’est pas nécessaire. Et j’ai découvert Shakespeare dans cette merveilleuse édition où, cerise agréable sur le mille-feuille, le fait de lire -à 80%- les traduction de François Hugo vous permettait de lire ce qui fut LA traduction classique à partir de sa parution, celle dans laquelle le barde fut découvert par nos meilleurs auteurs lorsqu’ils n’étaient pas capables de lire l’anglais réellement redoutable de Shakespeare). Et pourquoi me comparer avec le célèbre « élève agité du fond de la classe » Môssieur Draak? Quand j’avais une jolie voisine je pouvais être un é-lèvre agité mais sinon? – Un moine zen. Vous m’avez retourné le cœur.

    Répondre
    • Szenes Domonkos
      Szenes Domonkos dit :

      Il est vrai que la traduction de François-Victor (fils de Victor-Marie), quand bien même elle serait dépassée, représente un élément du patrimoine ; c’est la première réception intégrale de Shakespeare, en pleine révolution romantique, avec l’adoubement du Père (Victor-Marie) et ça n’est pas rien… Il faut se souvenir qu’auparavant, il y avait eu les moqueries de Voltaire, représentant de l’esprit français contre le barbare anglo-saxon, les héroïques tentatives de faire jouer Shakespeare dans des théâtres de second ordre, représentations interrompues sous les huées des spectateurs… Il y a dans la Pléiade Vigny, en marge de ses tentatives d’adaptations shakespeariennes, d’intéressantes notes à ce sujet. Avant François-Victor, c’est la préhistoire de Shakespeare en France ; après, bien sûr, on entre dans l’histoire, riche en épisodes, mais, s’il faut un point de départ…

      Quand j’étais gamin, il y a de cela un demi-siècle et plus, la version de François-Victor était la plus accessible pour un petit provincial, vivant dans une cité ouvrière comme on n’en trouve plus que dans les livres d’histoire (ce n’était pas Zola, ce n’était pas les corons, cela avait représenté la pointe du progrès social dans les années 20), et qui n’avait pas dépassé l’enseignement primaire ; je lui en ai une reconnaissance éternelle.

      Répondre
      • Szenes Domonkos
        Szenes Domonkos dit :

        Quand même, quelle époque ! Le Shakespeare de Hugo, le Poe de Baudelaire, le Faust de Nerval, Hoffmann de Loève-Veimars… Chaque jour voyait se lever une aube nouvelle sur l’Empire des Lettres…

        Répondre
    • DraaK fut là
      DraaK fut là dit :

      Je n’ai pas eu la bonne intonation pour faire passer ma remarque, et j’ai de plus noté « agité » quand je voulais seulement dire « indiscipliné » ; bref, j’ai eu tout faux. Mais donnez-moi l’occasion de panser la plaie. Pour l’eau salée, un certain Iago m’a donné un joli mouchoir brodé. Restez : Je vous dois un service, vous me devez un coup de canif que je prendrai de bonne grâce, un sourire crispé sur mon visage contrit.

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  3. Restif
    Restif dit :

    Et bien à deux occurrences près ( « telle » au lieu de « là est la question » et  » la fronde et les flèches d’une outrageante fortune » chez ce brave Hector alors qu’on trouve « la fronde et lesflèches de la fortune outrageante, » (assez proche quand même), cette traduction est extrêmement proche de celle de François Hugo. Voyez-vous même et découvrez vous-même -si découverte il y a – .cette merveille.
    https://fadosicontinue.blogspot.fr/2015/04/monologue-dhamlet-de-shakespeare.html
    « Telle » fut employé pour la première fois par Gide à ma connaissance, dans cette même Pléiade de Fluchère où se trouve une grande partie des traductions de F.Hugo.

    Répondre
  4. Restif
    Restif dit :

    Et bien elle a quand même, pour autant que je le sache, une très grande réputation. Je me souviens que pour muscler mes capacités à un concours justement redouté, j’avais, l’âme triste mais résolue, brisé mon petit cochon (nul besoin de le « balancer » celui-là) pour m’offrir la tenue de soirée de la prépa privée. Pas de publicité inutile, je tais le nom mais rien ne m’interdit de dire que j’avais un excellent professeur d’anglais, opérant normalement en classe prépa, et qui de plus était traducteur. Le plus intéressant pour moi est que j’avais en parallèle comme professeur-préparateur de la même langue nul autre que Jean-Michel Desprat qui commençait alors à se faire un nom dans la traduction des œuvres du barde. Et bien, honnêtement, je puis témoigner de ce que mon prof de prépa était un bien meilleur préparateur. J’avais entre 11 et 15 avec Desprat, avec lui -nommons le Henri – je commençait à six. Et il se révéla qu’il était beaucoup plus proche de la vérité! J’ai quand même reçu mon papelard mais si j’ai pu faire grimper l’anglais je le dois au conseil d' »Henri », qui cherchait l’efficacité et ne s’attardait pas sur les splendeurs de Lowry, non, il reprenait les annales et nous faisait bosser sur les textes et nous faisait lire les corrections et appréciations du jury, ce que ne faisait pas Desprat. Homme sympathique d’ailleurs bien que préférant très nettement l’élément féminin du cours. En tout cas mon Henri tenait la traduction de François Hugo pour la plus belle. J’avais un jour tenu à traduire par « telle est la question », il m’arrêta net et lorsque je lui soumis l’exemple de Gide me fit savoir aimablement que, certes, Gide était un traducteur bien plus qu’honorable, mais qu’on attendait de moi que je cite la plus classique, la plus romantique (classique et romantique! cela eut fait hurler jadis) et pour lui la plus belle traduction de Shakespeare.
    Je crois que l’homme, qui devait avoir une cinquantaine d’années il y a déjà …quelques temps de ça … était représentatif d’une certaine manière de penser disons, humaniste. Il ne négligeait pas Desprat mais le trouvait intéressant au niveau expérimental, pour le théâtre. De fait il suffit de lire ce qu’en dit Desprat qui met l’accent sur la manière de jouer, le dire participant de la gestuelle… Le souci d’exhaustivité de F.Hugo désireux de déplier touts les sens de l’anglais (avec une pointe de pudibonderie dans le rendu des jeux de mots, mais vu le problème du « punt » chez Shakespeare c’est véniel) en fait un travail remarquable. Mais en vérité, ce qu’il faudrait, c’est rendre toute la justice quelle mérite à l’édition en deux volumes d’Henri Fluchère. Les « textes de présentation » (comme on etait modeste alors!) sont des bijoux, à la fois très simples et pourtant sachant montrer tout ce qui tisse la trame du texte, montrer sans dévoiler si j’ose dire. Aucun jargon, rien que du sens dans la plus limpide des langues. L’introduction -les trois – sont de vrais chefs d’œuvre de culture humaniste, à portée de tout neurone sain et désireux de s’enseigner. Et la préface d’André Gide est passionnante, il y parle de la traduction de Shakespeare en des termes révélateurs des difficultés monstrueuses rencontrées par l’intrépide passeur. Et franchement, la Pléiade aurait-elle prit la traduction de François Hugo -dix pièces exceptées, ce qui a tout son charme, nous découvrons ainsi trois traductions de Gide une de Maeterlinck, une de Supervielle et, déjà, Leryris. S’ajoute une charmante et utile surprise en appendice : on y a donné une grande partie des traductions connues du fameux monologue qui fut le sujet de cette descente, ici, sur ce blog, en shakespearie. Cela va de Voltaire à Derocquigny (?) des Belles Lettres en passant par Rosny Ayné, Letourneur et Schwob avec un camarade. Voltaire…Le monologue en alexandrins classiques c’est une pièce montée somptueuse – les premiers mots en français de Shakespeare! – qui vaut l’arrêt devant cette re-création, fabuleuse, dans tous les sens du terme… Enfin voilà, en 1959 la Pléiade trouvait encore cette traduction de Français Hugo d’assez grande réputation pour en faire la part essentielle de son édition. J’espère que mon indiscipline rédhibitoire a malgré tout réussi à vous répondre excellent Draak.

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    • DraaK fut là
      DraaK fut là dit :

      Arf. Ma remarque vous a blessé, ami, alors qu’elle n’était que souriante : Je vous vois comme un jeune enthousiaste que rien n’endigue. C’est tellement clair dans vos interventions et cela vous rend tellement sympathique ; mais peut-être me trompe-je, tout comme je m’exprime mal et rudement. Vous avez fait se rencontrer Villon, Kafka et Shakespeare : j’aimerais pouvoir profiter de ce tumulte temporel pour revenir en arrière et ne pas cliquer sur « laisser un commentaire ».
      Et, oui, vous m’avez répondu. Je vais m’intéresser de plus près à cette traduction qui me ravit, vraiment.
      (Sans vous pousser et faire moi-même un hors sujet : je crois me souvenir que vous goûtez Lovecraft ; j’ai ouvert sa page).

      Répondre
    • Domonkos Szenes
      Domonkos Szenes dit :

      Je suis content de cette réhabilitation de François-Victor, cher Restif. Comme je disais, c’est essentiellement par elle que j’ai abordé, adolescent, Shakespeare (rapidement agrémentée de quelques autres, picorées de-ci de-là) et cela forme (et déforme) un esprit. Puis est venu l’époque où la doxa voulut que j’en eusse honte… Par je ne sais quel miracle mes volumes résistèrent à toutes les tempêtes qui secouèrent ma bibliothèque et, solidement arrimés, ne passèrent jamais par-dessus bord.

      Une remarque – essentielle – mon cher Restif : prenez garde de ne pas vouer votre ancien et révéré Maître à l’indignité et à la flagellation publique du #etc, avec votre : « bien que préférant très nettement l’élément féminin du cours ». Il en faut si peu de nos jours.

      Répondre
      • Restif
        Restif dit :

        Je vous lis seulement aujourd’hui cher Domonkos et, ma foi, vous pourriez bien avoir raison, hélas! Je tiens à dire que Jean-Michel Desprat n’eut jamais devant moi le moindre mot ou geste un tant soit peu tendancieux, aucunement, résolument, absolument PAS. Les quelques amies qui m’ont touché deux mots de sa propension à aimer le beau sexe en étaient plutôt flattées, et je ne sache pas qu’il ait jamais dérangé, harcelé,gêné quelque fille d’Eve que ce soit.

        Allez, je m’en retourne à la notule Thucydide de notre très savant Neo-Birt7. Je regrette de ne pas connaître de lieu sur le net, voire ailleurs, où on explique quelles sont les différentes écoles – -les différentes théories, les grandes tendances – en matière d’édition, d’établissement de textes antiques – et donc de philologie. Quel courant est « osé » dans ses hypothèses, quel autre trop prudent etc. Non seulement cela m’intéresserait vivement mais de plus cela apporterait un sous-bassement aux interventions si méticuleuse de notre précieux spécialiste.

        Répondre
  5. Restif
    Restif dit :

    Mais non, cher Draak vous ne m’avez pas « blessé », du tout, juré craché, monologué. Je faisais juste un clin d’œil pour bien marquer le contraire. Ce qui est vrai, c’est que lorsque le sujet littérature sort de sa boite,j’ai du mal a rester dans un cadre trop court. Que voulez-vous, les occasions sont si rares…. Et il me restait un peu de temps, déjà plus que sérieusement écorné. Au plaisir de voir avancer, tranquillement, votre splendide projet.

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