La notice ci-dessous, ainsi que la recension des éditions  sont de notre ami Lombard, qui est également le contributeur sur plusieurs autres pages (Honoré de Balzac, Kafka, Émile Zola…)

Encore merci à lui.

N’hésitez pas à proposer vos propres contributions pour enrichir le site au profit de tous.

Ivan Serguiévitch Tourgueniev (1818 – 1883) est un poète russe né à Orel (Russie) en 1818. À Moscou il suit des études en vue d’enseigner la philosophie, mais il finit par entrer au ministère de l’intérieur à Saint-Pétersbourg. C’est là qu’il vit de 1841 à 1847, qu’il écrit ses premiers essais littéraires et qu’il fréquente des artistes et des écrivains.

La parution de Mémoires d’un chasseur en 1852 lui ouvre les portes des salons littéraires français. Mais les propos qu’il tient à propos du servage dans son recueil de nouvelles lui valent une condamnation à l’exil.

En 1854, il est gracié et retourne en Allemagne pour rejoindre la famille de la cantatrice Pauline Viardot, qu’il ne quittera plus. Il partage sa vie entre Paris et Baden, ne faisant plus en Russie que de rares apparitions au cours desquelles il connaît une grande popularité. Désormais, cet écrivain russe « déraciné » ne va plus cesser de peindre la société de son pays et de la suivre de loin dans ses transformations.

À la fin des années 1850  il revient à Paris où il rencontre Guy de Maupassant, Alfred de Musset, Frédéric Chopin ou encore Charles Gounod, autant d’artistes que Tourgueniev fera connaître dans son pays natal. De même, il aide Zola et Alphonse Daudet à publier leurs romans en Russie. Il fréquente Alexandre Dumas, Edmond de Goncourt, Jules Verne, George Sand et Camille Saint-Saëns. Il se lie d’amitié avec Gustave Flaubert avec lequel il entretient une abondante correspondance, et il siège même aux côtés de Victor Hugo à la vice-présidence du Congrès International de Littérature en 1875.

À la fin des années 1870, Tourgueniev se fait construire une datcha à Bougival, dans les environs de Paris, sur le même terrain que la propriété des Viardot. Il y meurt en 1883 ; son retour posthume en Russie reçoit un accueil triomphal. Il repose aujourd’hui au cimetière Volkovo à Saint-Pétersbourg.

Laissons la parole à Jules Legras * : « Parmi tous les écrivains russes, il n’en est pas un seul auquel le nom d’artiste réaliste convienne aussi sûrement qu’à [Tourguéniev]. D’abord, il est un grand styliste : […] À la langue russe si riche, si souple, si harmonieuse, il a su faire rendre des sons merveilleux.

Le talent de Tourguéniev est délicat, sensible et nuancé, mais il n’est pas seulement artiste par la magie du style; il l’est également par la pénétration de l’analyse et par l’art de la composition. […] Tout chez lui contribue à donner la physionomie d’une époque. »

* [Jules Legras (1867-1939) ; normalien, agrégé, académicien, géographe, explorateur, ethnologue de terrain, enseignant la littérature russe à la Sorbonne, académicien français, il est considéré comme « artisan de la renaissance des études slaves en France au moment de l’alliance franco-russe »]

  • L’oeuvre

Ivan Tourgueniev est indubitablement un grand écrivain. Avec Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, Gogol et Pouchkine, il est l’un des grands maîtres de ce XIXe siècle que l’on appelle à juste titre l’âge d’or de la littérature russe.

Il a connu une grande popularité en France à la fin du XIXe siècle et au début du XXe car sa sensibilité était considérée comme la plus proche de celle des Français et il était le plus francophile des écrivains russes de son temps. Si l’on évoque moins Tourgueniev aujourd’hui, c’est peut-être parce que, contrairement à Dostoïevski et ses cinq grands romans ou à Tolstoï avec La Guerre et la paix et Anna Karénine, Tourgueniev n’est pas l’homme d’un grand roman, mais plutôt l’auteur d’œuvres souvent teintées d’autobiographie, dont la longueur se situe la plupart du temps entre le roman court et la longue nouvelle. L’œuvre de Tourgueniev est non seulement indispensable, mais aussi elle s’inscrit dans la longueur : elle ne peut à mon sens qu’être appréciée au travers d’une lecture de plusieurs de ses romans et de ses nouvelles.

Les personnages qu’il décrit, les paysages où se déroulent l’action de ses ouvrages et la société qu’il dépeint sont un peu les mêmes que ceux qu’affectionne Tchékhov. Ce qui le différencie peut-être de ce dernier, c’est un style simple et direct qui rend Tourguéniev plus moderne en cette seconde partie du XIXe siècle, ce qui est assez paradoxal dans la mesure où l’œuvre de Tchekhov est légèrement plus tardive puisque concentrée sur le dernier quart du siècle. L’une des raisons de cette modernité littéraire est l’ouverture de Tourgueniev vers l’extérieur de l’Empire Russe, en particulier vers l’Allemagne et surtout la France où il vient vivre ses dernières années et où il entretient beaucoup de relations avec les milieux littéraires.

Édition(s) de référence :

  1. Histoire des publications :

Pour les premières éditions en français, je me réfère au catalogue de la BNF ainsi qu’à l’ouvrage Ivan Tourguéniev – Lettres inédites à Pauline Viardot et à sa famille (Édition établie par Henri Granjard et Alexandre Zviguilsky, L’Âge d’homme, 1972). La plupart des œuvres romanesques de Tourguéniev paraissent de son vivant, de1844 à 1883.

Les éditions françaises sont pratiquement publiées au fur et à mesure des parutions russes, ainsi : 

Les sept romans :

– Roudine (1856) [sous le titre Dimitri Roudine] suivi du Journal d’un homme de trop et de Trois rencontres traduit par Louis Viardot en collaboration avec Tourguéniev, publié aux éditions Hetzel en 1861 (édition de 1862 à la BNF)

– Nid de Gentilhomme (1859) [sous le titre Une nichée de gentilshommes], traduit par le comte Sollohoub et Alphonse de Calonne, publié aux éditions Édouard Dentu en 1862

– À la veille (1860) [sous le titre Elena] traduit par Henri-Hippolyte Delaveau, publié aux éditions Édouard Dentu en 1861

Père et fils (1862) [sous le titre Père et enfants], traduit en français par Tourguéniev et Louis Viardot en 1863

– Fumée (1867) traduit par C. Douniol en 1867, texte revu par Prosper Mérimée et Tourguéniev, publié aux éditions Hetzel en 1868

– Eaux printanières (1871) [sous le titre Les Eaux printanières] suivi d’Un roi Lear des steppes [sous le titre Le Gentilhomme de la steppe] publié aux éditions Hetzel en 1873 (édition de 1874 à la BNF)

– Terres vierges (1877) traduit par Émile Durand-Gréville, texte revu par Tourguéniev et Louis Viardot, publié en français aux éditions Hetzel en 1877. 

Les recueils de nouvelles :

– Mémoires d’un chasseur (première édition partielle datant de 1847) : première traduction [sous le titre Mémoires d’un seigneur russe] par Ernest Charrière, publié aux éditions Hachette en 1854 ; seconde traduction [sous le titre Récits d’un chasseur] par Henri-Hippolyte Delaveau, publié aux éditions Édouard Dentu en 1858.

– L’Auberge de grand chemin, L’Antchar, Le Pain d’autrui, Une correspondance, Deux journées dans les grands bois et Le Partage, traduites par Louis Viardot [sous le titre Scènes de la vie russe – deuxième série], publiées en recueil en 1858.

– Elena et Un premier amour (1860), traduction Henri-Hippolyte Delaveau [sous le titre Nouvelles scènes de la vie russe], publiées aux éditions Édouard Dentu en 1863?

– Le Juif, Pétouchkhov, le Chien et Apparitions, nouvelles traduites par Prosper Mérimée ainsi que Le Brigadier, Anouchka  et Histoire du lieutenant Iergounov traduites par Tourguéniev [sous le titre Nouvelles moscovites], publiées en recueil aux éditions Hetzel en 1874.

– Reliques vivantes, La montre, Ça fait du bruit, Pounine et Babourine et Les nôtres m’ont envoyé, publiées [sous le titre Fragment inédit des Récits d’un chasseur] aux éditions Hetzel en 1876

Quelques nouvelles et leurs traductions historiques :

– Apparitions (1854) traduit en 1866 par Prosper Mérimée

– Anouchka (1858) traduit par Tourguéniev, publié en 1869

– Hamlet et Don Quichotte (essai – 1860) traduit par Louis Léger en 1879

– Premier amour (1860) paru en français en 1863 dans le recueil « Nouvelles scènes de la vie russe » ; parmi les nombreuses proto-traductions de Premier Amour (1860) il faut noter celle d’Ely Halpérine-Kaminsky en 1892

– Le Brigadier (1866) traduit par Tourguéniev, publié en 1868

– L’Aventure du lieutenant Iergounov (1868)  traduit par Tourguéniev et Louis Viardot, texte revu par Maxime Ducamp, publiée dans La Revue des deux mondes en 1868

– Étrange histoire (1870), traduit la même année par Prosper Mérimée

– Mémoires d’un seigneur russe (1854) traduit la même année par Ernest Charrière

– La Montre (1876) traduit en français par Émile Durand-Gréville,  publié en France la même année

– Le Chant de l’amour triomphant (1881) traducteur anonyme, publié en France la même année

Dès les origines de La Pléiade, est publié un premier recueil de Tourguéniev, Nouveaux poèmes en prose, sous la direction d’André Mazon, avec une traduction Charles Salomon (1930, 167 p., édition bilingue). Ce volume porte le n°12 dans la collection « Les grands auteurs russes » aux éditions de la Pléiade / J. Schiffrin et Cie, créées en 1923.

2. L’édition en Pléiade chez Gallimard :

Romans et nouvelles complets T1 (André Kolossov – Les Trois portraits – Un Bretteur – Le Juif – Pétouchkhov – Mémoires d’un chasseur – Le Journal d’un homme de trop – Trois rencontres – Moumou – L’Auberge de grand chemin – Deux amis – Les Eaux tranquilles – Une Correspondance – Jacques Passynkov – Roudine. Appendice : Le Bureau particulier du domaine), traduction Françoise Flamant, Henri Mongault et Édith Scherrer (1981, 1360 pages, N°289)

Romans et nouvelles complets T2 (Faust – Excursion dans les Grands-Bois – Assia – Nid de gentilhomme – À la veille – Premier amour – Père et fils – Apparitions – Assez – Le Chien – Fumée), traduction Françoise Flamant, Henri Mongault et Édith Scherrer (1982, 1232 pages, N°297)

Romans et nouvelles complets T3 (L’Histoire du lieutenant Iergounov – Le Brigadier – L’Infortunée – Étrange histoire – Un Roi Lear des steppes – Toc… Toc… Toc ! – Eaux printanières – Pounine et Babourine – La Montre – Un Rêve – Terres vierges – Le Récit du père Alexis – Extraits de mes souvenirs et de ceux d’autrui – Le Chant de l’amour triomphant – Clara Militch (Après la mort) – La Caille. Appendice : « Hamlet » et « Don Quichotte »), traduction Françoise Flamant, Henri Mongault et Édith Scherrer (1986, 1326 pages, N°326)

L’édition Pléiade peut être considérée comme l’édition de référence :

1/ Pour son exhaustivité : on retrouve dans ces trois volumes l’intégralité de l’œuvre romanesque de l’auteur

2/ Pour le caractère historique et la qualité rédactionnelle des traductions de Françoise Flamant, Henri Mongault et Édith Scherrer

3/ Pour la qualité des notes et variantes qui retracent très précisément pour chaque nouvelle ou roman la genèse de l’œuvre, les éléments biographiques, la correspondance de Tourguéniev, l’historique des publications, l’accueil des critiques de l’époque ainsi que celui des milieux littéraires et des amis de Tourguéniev.

4/ Pour l’appareil critique qui représente environ un quart de chacun des trois volumes, ce que l’on peut considérer comme un bon équilibre entre la place laissée au texte et celle requise pour l’exégèse par les lecteurs plus érudits.

Livres et ressources recommandables :

Ceux qui veulent aller plus loin et qui souhaitent une approche historique et universitaire peuvent se tourner vers l’Association des amis d’Ivan Tourguéniev, Pauline Viardot et Maria Malibran, dont le siège est situé au Musée Européen Ivan Tourguéniev à Bougival. L’association édite et publie une revue : Les Cahiers Ivan Tourguéniev, sous la direction scientifique d’Alexandre Zviguilsky, spécialiste mondialement reconnu de la vie et de l’œuvre du célèbre écrivain russe. Selon Entrevues, « Les Cahiers sont devenus au fil des parutions une référence indispensable et incontournable pour les chercheurs ou les passionnés par la littérature tant russe que française en son âge d’or qu’a constitué pour elle ce XIXe siècle en France et en Europe ». La collection complète (28 numéros à ce jour) est disponible à la boutique de l’association.

1 réponse
  1. Lombard
    Lombard dit :

    LES TROIS TOMES EN PLÉIADE : LE POINT DE VUE DU LECTEUR

    Les grandes œuvres de Tourguéniev sont publiées en Pléiade dans leur ordre chronologique et assez équitablement réparties entre les volumes, ce qui rend l’acquisition des trois tomes nécessaire pour l’amateur exigeant.

    TOME 1

    Outre un ensemble de nouvelles de belle qualité, le premier tome comprend le premier roman de l’auteur, Roudine, ainsi que son œuvre la plus célèbre, le recueil de nouvelles Mémoires d’un chasseur.

    Le premier grand roman de Tourguéniev, Roudine, paru en 1856, témoigne de qualités de premier ordre ; l’écrivain y peint un caractère d’homme richement doué, mais incapable de passer de la parole à l’acte. L’engagement de Tourguéniev pour la défense des droits de l’homme est déjà perceptible : il rend hommage à l’idéalisme de la génération des années 1840.

    C’est en Allemagne que Tourguéniev compose des récits villageois qui paraissent sous la rubrique Récits d’un chasseur. En 1852, ces récits sont réunis en volume sous le même titre ; en France, le titre en sera d’abord Mémoires d’un seigneur russe puis finalement Mémoires d’un chasseur. La publication de ce livre constitue une étape majeure dans l’histoire de la littérature russe ; le gouvernement cherche dès lors à se défaire de l’écrivain : sous prétexte d’une lettre écrite à propos de Gogol, Tourguéniev est mis aux arrêts puis exilé dans ses terres. Le recueil n’est pas seulement un chef–d’œuvre littéraire, il dénonce aussi l’horreur du servage ; l’art de Tourguéniev est tellement sûr qu’il émeut plus les lecteurs « par son apparente impassibilité que par des imprécations. Il y montre les paysans sous un jour nouveau, il révèle son peuple à la Russie. Les Mémoires d’un chasseur sont un des livres les plus généreux et les plus savoureux de la littérature russe, l’un de ceux qu’on ne se lasse jamais de relire, et qui fut, parmi les causes innombrables qui amenèrent l’émancipation des serfs, l’ouvrage qui prépara le plus efficacement le public à désirer ce grand acte. » (Jules Legras).

    Le tome 1 en Pléiade comprend également un florilège d’excellentes nouvelles indépendantes, comme André Kolossov, Un Bretteur, Pétouchkhov, Le Journal d’un homme de trop, Trois rencontres, Moumou, L’Auberge de grand chemin, Deux amis ou encore Les Eaux tranquilles.

    TOME 2

    En 1859 paraît Nid de gentilhomme sous le titre Un Nid de seigneurs, un roman d’une portée plus générale que le précédent. Lavretski, le héros, possède encore un caractère faible, mais le propos du romancier porte surtout sur l’analyse des transformations du sentiment amoureux qui naît entre son héros déjà marié et une jeune fille, Lisa Kalitina. Lorsqu’il dépeint des personnages féminins, Tourguéniev marque toujours un temps d’avance sur son époque : l’héroïne de Nid de gentilhomme fait preuve d’une audace subversive, et en cela elle peut être considérée comme l’héritière de la Tatiana d’Eugène Onéguine de Pouchkine. À sa sortie, le succès du roman est considérable, rendant définitive la renommée de Tourguéniev.

    En 1859, sort À la veille, l’un de mes deux romans préférés de Tourguéniev, appréciation toute personnelle (pourquoi le préférer à l’excellent Père et fils ? C’est bien là le « point de vue du lecteur », toujours subjectif – chacun vit sa propre expérience de lecture). À la veille met encore en scène une héroïne moderne, et, curieusement, le seul héros fort de l’œuvre romanesque de Tourguéniev, Insarov, qui se trouve être bulgare.

    Père et fils, paru initialement en 1860, sous le titre Pères et Enfants, est probablement le roman le plus célèbre de Tourguéniev. L’histoire se situe à la veille de l’émancipation des serfs. L’auteur crée un personnage qui deviendra célèbre, l’étudiant révolutionnaire Bazarov, pour lequel Tourguéniev remet à la mode un terme déjà ancien et qui fera fortune par la suite, le mot : nihiliste. Le roman est mal accueilli et mal compris en Russie ; on impute à Tourguéniev les propos de son héros, propos qui constituent une critique radicale du régime tsariste ; on va même jusqu’à accuser Tourguéniev de trahison. Pourtant, Pères et Fils reste l’une de ses grandes réussites, et certains le considèrent même comme son chef-d’œuvre.

    En 1867, Fumée offre une peinture satirique de la société russe qui se presse à l’étranger dans les villes d’eaux et de plaisir. C’est à cette époque que Tourguéniev achève de couper les ponts avec la Russie.

    A côté de ces grands romans, le tome 2 inclut des nouvelles assez longues, dont quelques-unes sont parmi les plus subtiles qu’il ait signées, notamment Assia et Premier Amour.

    TOME 3

    Le troisième tome en Pléiade couvre la dernière partie de la carrière littéraire de Tourguéniev, avec quatorze nouvelles, un essai et les deux derniers romans de l’auteur, Eaux Printanières et Terres vierges.

    Côté nouvelles, ce dernier volume contient de très belles pages (L’Infortunée, Un Roi Lear des steppes, Pounine et Babourine), quelques récits un peu plus surprenants (Toc… Toc… Toc ! ou La Montre) ainsi qu’une évolution importante dans l’écriture de Tourguéniev à la fin de carrière avec Le Chant de l’amour triomphant et surtout Clara Militch (Après la mort), aux tonalités fantastiques.

    Eaux printanières est parfois considéré comme une très longue nouvelle, parfois comme un roman court ; quoi qu’il en soit cette œuvre est tout à fait digne de figurer aux côtés de Nid de gentilhomme et de Père et Fils.

    Selon moi, le tome 3 des œuvres de Tourguéniev vaut surtout pour l’excellent Terres vierges. Pourtant, à la sortie de sa première partie en 1876, la presse russe éreinte cet ultime roman, il est vrai moins sur sa forme que sur la crédibilité supposée du caractère de ses personnages dans la société russe contemporaine. Même Dostoïevski et Saltykov-Chtchédrine se montrent sévères. Cependant les cercles littéraires français et allemands apprécient l’œuvre.

    Dans Terres vierges Tourguéniev aborde avec hardiesse et ampleur le problème de la conspiration. Sans toutefois idéaliser les conspirateurs, il nous les rend sympathiques : on se prend presque de pitié pour Niéjdanov, nihiliste trop faible pour passer à l’acte, héros indécis et rêveur comme le sont Roudine ou encore Bazarov dans Père et fils.

    Curieusement, quelques temps après la sortie du roman, un procès politique retentissant renverse la situation : les contemporains russes de Tourgueniev réalisent alors à quel point les caractères qu’on l’accusait d’avoir brossés à grands traits depuis ses séjours à l’étranger, sonnent juste et collent à la réalité de l’âme russe, qu’il s’agisse des autorités en place ou des révolutionnaires.

    Pour qui aime l’âme russe et s’intéresse à l’histoire si étoffée de la Russie de la seconde partie du XIXe siècle, ce livre, écrit dans un style élégant et réaliste, à l’intrigue prenante et habité par d’étonnants personnages, est tout simplement indispensable.

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