le Râmâyana est une épopée en langue sanskrite, composée entre le IIIe siècle avant J.-C. et le IIIe siècle après J.-C.
C’est l’un des textes fondamentaux de la mythologie de l’hindouisme, aux côtés du Mahâbhârata.
C’est une lecture au long cours : l’épopée tient en haleine pendant 48.000 vers, soit 4 Odyssées, rien que cela. Ceci dit, pour un texte ancien d’une culture étrangère à notre (?) imprégnation greco-romaine, l’histoire est d’un abord agréable et se lit étonnamment facilement.
Edition de référence :
- La Pléiade
Un volume, sous la direction de Madeleine Biardeau et de Marie-Claude Porcher.
79 € neuf.
Pour une bonne information, voir, quand même, la remarque du 25 janvier 2018 de Neo-Birt7 sur le texte retenu pour la traduction.
- les éditions Diane de Seilliers
…on sorti en 2011, 3.000 exemplaires d’un coffret en 7 volumes, illustré de 660 miniatures indiennes (bien postérieures : du XVI au XIXe siècle).
Si vous souhaitez payer (trop) cher un beau livre, cette édition est faite pour vous.
Voir ci-dessous le premier commentaire (négatif) de Néo-Birt7 sur cette édition.
Le texte étant celui de la Pléiade, la présence de miniatures indiennes ne justifie pas le tarif élevé (950 €).
Cette illustration par des miniatures (à priori une excellente idée) montre si besoin en était l’influence du Ramayana dans la culture indienne/hindoue. Mais, d’après Neo-Birt7, elle ne tombe pas toujours très à propos.
(Chez Diane de Seilliers, la Bhagavadgita, à 230 €, en un volume, illustré de 92 miniatures sera peut-être une occasion de découvrir les textes hindous sans fracasser pour de bon la tirelire – voir sur propagerlefeu.fr la page consacrée à ce classique lorsqu’elle sera ouverte).
A vous de jouer maintenant !
Pour mémoire, l’édition citée est suivie de la mention [par défaut] qui apparaît s’il n’y a pas encore eu de discussion sur le sujet.
En commentaires, libre à vous de :
- discuter des mérites et défauts des différentes éditions
- de la place de l’auteur ou de l’oeuvre dans la culture de son temps
- de l’importance de l’auteur ou de l’oeuvre pour un lecteur contemporain
- de ce qu’il représente pour vous
- des livres ou autres sources très recommandables pour comprendre l’auteur / l’oeuvre / son influence
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La somptueuse présentation du Rāmāyaṇa chez Diane de Selliers pousse à sa limite l’imposture éditoriale qui a fait le succès de cette maison, une sorte de Jean de Bonnot nouvelle manière habilement marketée par sa propriétaire fondatrice. Le lecteur paie extrêmement cher le papier, l’habillage des sept volumes et du coffret en imitation (!) de velours rouge, la qualité de reproduction de l’abondante illustration ; car il s’agit de tout sauf d’une édition rigoureuse, puisque Mme de Selliers réimprime la traduction de la Pléiade et limite l’appareil scientifique au livret, où figurent l’introduction du volume de Gallimard ainsi que quelques annexes sans lesquels le Rāmāyaṇa est illisible. De notes, point, ce qui est handicapant même dans une editio minor; seuls sont nouveaux l’introduction d’Amina Taha Hussein-Okada et le bref commentaire iconographique donné par la même à chaque illustration. L’intérêt de ces apports, si grand qu’il en soit, ne suffit pas à faire acquérir cette édition dispendieuse à laquelle n’a présidé aucun réel scrupule scientifique. On nous affirme que plusieurs milliers de documents figurés ont été collectés en amont, parmi lesquels 660 miniatures furent sélectionnées pour ces sept volumes; or, non seulement je ne suis pas certain, pour les avoir eus entre les mains, qui, de Mmes Hussein-Okada ou de Selliers, est responsable du choix final — aucun catalogue de type muséologique n’a été dressé qui permettrait à de véritables savants de s’approprier cette documentation, alors qu’il n’aurait occupé que deux ou trois dizaines de pages, moins s’il avait été composé en doubles ou triples colonnes. Par ailleurs, trop souvent les miniatures choisies n’illustrent pas tant un fait précis du texte qu’un élément matériel, un personnage, un lieu – en d’autres termes, telle ou telle scène de l’oeuvre sert de prétexte à l’iconographie, laquelle quelquefois n’entretient de lien que ténu avec la teneur des versets du Rāmāyaṇa en face desquels figurent telle ou telle miniature. C’est assez détestable, mais cela s’explique assez bien du fait que la commentatrice n’a pas les qualifications d’une philologue sanskritisante, sans compter l’éditrice qui se mêle de tout, ici comme dans ses autres publications. Enfin, il y a une part d’esbroufe irritante chez Mme de Selliers ; celle-ci affirme avoir pensé d’abord à publier le Mahābhārata, or il n’en existe aucune traduction française complète (Gilles Schaufelberger et Guy Vincent n’ont, en 25 ans, traduit qu’une portion relativement mineuse), si bien qu’on se demande bien comment elle aurait fait. Le Rāmāyaṇa, lui, venait de paraître en Pléiade; pain béni !
Cher Neo-Birt7,
Lorsque l’on est face à ce genre de « beau livre », et à défaut de vos connaissances dans le domaine, le risque de se faire « Jean-de-Bonnoter » vient immédiatement à l’esprit (= acheter à bon compte de la pseudo-culture qui fait joli dans une bibliothèque).
Mais si l’on vient sur mon terrain de compétence (certains d’entre-vous savent que je suis expert-comptable ; pour les autres, je fais ici mon compta-out), une remarque de l’éditrice m’avait surpris, dans un article du Point. Je cite l’article :
Le prix de lancement de l’édition française est « très, très serré ». « C’est un cadeau en ce sens qu’il n’intègre pas les frais de recherche. Sinon, il faudrait le vendre 1.500 euros et cela ne ferait plus sens pour moi », explique-t-elle. (fin de citation)
Mon alarme interne s’est mise à clignoter à la lecture de cette affirmation :
– 950 € fois 3.000 exemplaires, ça nous fait quand même 2.850.000 € ; sachant que le coût de réalisation compte pour peu, on a beau estimer des taxes et des frais fixes, cela fait quand même quelques décennies de salaires en étant correctement payé.
– Qu’une société commerciale puisse ne pas « intégrer des frais de recherche » me laisse songeur.
– Par ailleurs, au delà du fait que l’on franchit un seuil psychologique, je ne sens pas trop la différence entre 950 € et 1.500 €. » ? Proposer un livre au public à 950 € « fait sens », mais pas à 1.500 € ? Où s’arrête le « sens des choses ?
Comment Diane de Seilliers a-t-elle pu utiliser la traduction de la Pléiade ? Accord financier avec Gallimard ?
Dans la série « ne nous faisons pas Jean-de-Bonnoter », et pour faire un beau hors-sujet : avez-vous un avis sur les manuscrits édités par la maison d’édition Les Saints Pères ?
J’avais fait de tête le même genre de calcul, et m’étais figuré qu’il en va de ce propos de Mme de Selliers comme de son affirmation sur le Mahābhārata : enfumage rhétorique d’habile camelot. Je trouve les éditions des Saints Pères plus honnêtes, en ce sens qu’ils ne se cachent pas d’être seulement des marchands d’art. Je possède le tome I de leur Bible historiale : c’est du très beau toilé, qui durera bien davantage que les cuirs bas de gamme de Jean de Bonnet ou les brochages de Diane de Selliers, mais ce français rocailleux procure peu de plaisir à la lecture continue (les yeux vous piquent au bout d’une page ; nous ne sommes plus accoutumés à ces conventions typographiques).
Un point très important sur laquelle la Pléiade (non recensée en français dans des revues autres que confidentielles, hormis la notule, malheureusement à ce point apologétique qu’elle bascule dans la flagornerie en abdiquant tout esprit critique, de P.-S. Filliozat en http://urlz.fr/6sg5) ne me semble pas donner satisfaction du tout, est celui du texte de base sous-tendant cette nouvelle traduction. Le team Biardeau se fonde en effet sur le texte vulgaire, très long car démontrablement bourré d’interpolations, mais qui répond à l’usage religieux moderne, représenté par l’édition dite GPP (« Rāmāyaṇa of Vālmīki », Bombay, Gujarati Printing Press, 1914-1920, 7 vol.) ; le texte critique beaucoup plus court établi par U. P. Shah et G.H. Bhatt (dir.), « The Rāmāyaṇa of Vālmīki. Critical Edition », Baroda, Oriental Institute, 1960-1975, 7 vol., fait l’objet de remarques peu amènes. Ce choix ne reflète guère le consensus des sanskritisants, pour autant qu’il existe, sur la valeur de l’édition critique ; au terme d’un examen poussé de cette dernière (« The Rāmāyaṇa of Vālmīki. An Epic of Ancient India », I « Bālakāṇḍa. Introduction and Translation by Robert P. Goldman », Princeton, Princeton U. P., 1984, pp. 82-93), Sheldon I. Pollock, un connaisseur tout aussi pointu que Biardeau, concluait que « the critical edition, then, we believe, puts us in possession of the most uniform, intelligible, and archaic recension of the Vālmīki Rāmāyaṇa, corrected and purified on the basis of other recensions and versions that are descended from the common oral original » (p. 92). Le choix de la vulgate de Bombay n’a-t-il pas été influencé par le fait que la traduction d’Alfred Roussel (1903) reposait sur un texte vulgaire, ce qui permettait une péréquation philologique entre la nouvelle version et l’ancienne beaucoup plus aisée que s’il avait fallu partir du sanskrit de l’édition critique ? Un lecteur un peu méchant ne peut s’empêcher de penser que, sur un nombre suspect de passages, la traduction sur papier bible a davantage l’air de moderniser le rendu très sec et austère de Roussel que de proposer une compréhension entièrement nouvelle de l’original. Quoi qu’il en soit, les traductions de textes sacrés, tout comme celles des autres oeuvres, éditées dans la Pléiade s’adressent au grand public cultivé, et non pas à une audience de croyants ; il est donc désolant de voir le collectif dirigé par Biardeau rompre avec les habitudes qui nous ont notamment valu la splendide réussite que fut l’Ancien Testament de Dhorme (dont l’hébreu est celui de l’édition critique de Kittel-Kahle, la meilleure disponible à l’époque) pour retenir un texte vulgaire dont la seule et unique supériorité textuelle tient dans son caractère extensif au détriment de la seule édition scientifique existante du Rāmāyaṇa, certes très perfectible mais qui remonte haut dans la tradition et constitue une pierre d’attente plus que passable. Biardeau veut nous faire manger des glanes lorsqu’un pain noir est disponible, sous prétexte qu’il ne s’agit pas là de pain blanc.
Commentaire fort éclairant, mais qui n’en jette pas moins une ombre au tableau.
Dans ces conditions, s’il s’agit d’un bréviaire pour curés hindouistes, peut-être eût-il fallu l’habiller de gris plutôt que du vert antique…façon « d’annoncer la couleur » si je puis dire.
En tous cas, vous me faites rêver à cette autre version, plus authentique semble-t-il, que je ne connaîtrai hélas jamais (à moins d’apprendre le sanskrit ou d’améliorer considérablement mon anglais, deux hypothèses improbables vu l’état de mon cerveau sénescent.)
D’autres autorités majeures dans le champ de la philologie sanskrite ont trouvé des qualités à l’édition critique du Rāmāyaṇa, notamment John L. Brockington, auteur du traité de référence sur la poésie épique indienne antique (« The Sanskrit Epics », Leyde-Boston, Brill, 1998, 606 p.). Bien entendu, la valeur d’un travail scientifique ne saurait s’évaluer en soupesant le nombre des recensions plus ou moins positives et en tenant compte de la distinction académique de leurs auteurs ; d’autant plus que deux générations se sont écoulées depuis le lancement de l’édition Shah-Bhatt, si bien que les faiblesses en apparaissent plus clairement aujourd’hui que dans les années 60-70. Biardeau a donc droit à son jugement personnel. Mais il est évident que celui-ci mobilise des présupposés qui, pour être assez largement partagés parmi les sanskritisants, ne sont pas inattaquables. Prend-on un choix aussi tranché dans une publication destinée à un large public sans prendre en otage le lecteur plus gravement qu’il ne devrait être permis de le faire ?
La grande traduction américaine que j’ai citée ajoute ou résume dans des appendices l’essentiel du surplus dont s’alourdit la version de Bombay ; c’est une solution qui, critiquement parlant, présente de gros avantages et que la Pléiade aurait pu émuler. On ne le dira jamais assez : la constitution textuelle détermine la stratégie philologique qui sera celle du traducteur, surtout lorsqu’il se confronte à une oeuvre dont la genèse est orale et dont il nous reste diverses conformations passablement différentes pour le numerus uersuum (nombre des vers / versets) comme pour les leçons (trois recensions dans le cas du Rāmāyaṇa). Oserai-je dire que la décision éditoriale de Biardeau n’étonne pas sachant que cette éminente sanskritisante a ensuite dirigé une réécriture condensée du Mahābhārata en 1100 pages, que le critique textuel ne saurait considérer que comme une aberration philologique ?
Pour le dire sur un ton plus sérieux que je ne l’ai fait dans ma précédente intervention (ce qui ne signifie pas que j’étais moins sérieux sur le fond), votre argumentation me semble parfaitement convaincante – en tous cas me convainc complètement – et, notamment, dans votre dernier paragraphe, vous proposez une solution équilibrée qui aurait pu satisfaire tout le monde.
Cette édition scientifique/critique, basée sur un texte plus ancien est-elle disponible quelque part en français ?
On peut en trouver quelques parties sur archive.org, mais ces fascicules (avec introduction et apparat critique en anglais) supposent de savoir lire la devanāgarī. L’ensemble est malheureusement inédit en français ; en refusant de traduire cette édition d’une belle correction typographique pour utiliser le texte autrement plus médiocre de Bombay, en sus qu’il n’a aucune prétention critique ni philologique, la Pléiade a manqué une occasion de refléter l’intense travail des pundits indiens sur leurs épopées religieuses qui ne se représentera sans doute pas avant la prochaine génération.
Je connais un Neo-Birt7 qui devrait s’y mettre…
La traduction de Princeton est désormais complète avec la parution de « The Rāmāyaṇa of Vālmīki. An Epic of Ancient India », Volume VII « Uttarakāṇḍa », Princeton / Oxford, 2017, un énorme ouvrage de XII + 1522 p., qui montre tout l’abîme séparant l’édition de la Pléiade d’une entreprise véritablement scientifique. On y trouve en effet 219 pages d’introduction au livre VII (4-222), dont un important chapitre textuel et philologique, pp. 200-222 ; la version anglaise (pp. 225-441) ; 840 pages de notes en petit corps (445-1284), qui constituent un véritable commentaire ; la traduction (pp. 1285-1329) et les notes, elles aussi très détaillées (1329-1402), des chapitres interpolés, les Prakṣipta Sargas ; plus les usuels tableaux, brefs glossaire et table des divergences avec l’édition critique, bibliographie, enfin et surtout 88 pages d’index (1435-1522). Voici ce que les auteurs trouvent à dire de la version du livre VII dans la Pléiade : « whereas the translator of the Yuddhakāṇḍa for the Gallimard edition edited by Biardeau and Porcher was Brigitte Pagani, the Uttarakāṇḍa of that translation was done by Philippe Benoît. In general, we found Benoît’s rendition perhaps somewhat more accurate than Pagani’s and somewhat less influenced by Roussel » (p. 221).
Je voudrais dissiper par avance tout malentendu. Loin de moi la pensée de mettre sur un même plan scientifique le Rāmāyaṇa de Princeton, oeuvre savante de très longue haleine (1971-2017) où la part du lion revient à Robert P. Goldman et Sally Sutherland Goldman, et l’intégrale de la Pléiade, travail de haute vulgarisation ne prétendant apporter aucune contribution spécialisée. Comme complément d’une version rigoureuse mais attractive, « The Rāmāyaṇa of Vālmīki. An Epic of Ancient India » pouvait se permettre un appareil exégétique tout ensemble riche et neuf visant notamment à rendre compte de la complexité textuelle de l’épopée ; paraissant chez un éditeur généraliste dont on ne peut que supposer que le cahier des charges remis à Biardeau sans doute il y a longtemps inclinait fortement dans le sens de la vulgarisation la plus aisée possible, le volume de la Pléiade devait se garder de paraître tant soit peu savantasse, quitte à s’accommoder d’une déperdition sensible en matière de philologie indienne et de critique génétique. Ce point concédé, la part ménagée à la rigueur dans le Rāmāyaṇa français me semble insuffisante ; le choix d’une Vorlage de type cultuel sous prétexte qu’on y trouve le texte le plus étendu ainsi que le seul vivant dans la pratique actuelle des Hindous, ne rend pas service au lecteur en le privant de la possibilité de contrôler la traduction nouvelle contre ses rivales établies d’après l’édition critique ; le rendu lui-même n’offre les garanties de sérieux requises que dans les limites que l’éditrice a fixées, lesquelles ne laissent pas d’être étroites, voire philistines ; les notes sont également éloignées de mettre à la portée du lecteur les acquis de la recherche la plus récente et de défendre le sémantisme retenu par le traducteur ; enfin l’éditrice générale s’est permis une introduction dans laquelle le lecteur free of Sanskrit n’a pas plus de chance de distinguer entre la doxa et les raffinements personnels que celui de l’épouvantable « Genèse de l’Inde » par Bernard Sergent (voir http://urlz.fr/6sCX), tant Biardeau s’y montre franchement idiosyncrasique, voire spéculative, que l’on se demande bien pourquoi tout le reste du volume n’a pas été troussé pas de la même plume érudite (les derniers prolégomènes aussi audacieux que j’ai lus sont ceux de Jean-Pierre Callu dans le volume I de l’édition Budé de l’Histoire Auguste, tellement aventurés que les éditeurs des tomes suivants se sont trouvés fort gênés aux entournures et si peu satisfaisants que les critiques ont plu comme grêle). La Pléiade manifeste donc les vices propres aux entreprises collectives lorsque le maître d’oeuvre s’est trop laissé allé à ses convictions personnelles au lieu de rechercher l’intérêt maximal du public ; j’ose dire que « Les Epicuriens », les « Premiers Ecrits Chrétiens » ou les « Ecrits Gnostiques » manifestent un équilibre nettement plus satisfaisant entre lisibilité, rigueur et tact éditorial et scientifique.
Vous faites bien d’apporter la nuance : à vous lire, ma première réflexion était que, décidément, la « meilleure édition » de l’un ne peut pas être celle de l’autre et que l’amateur de littérature générale ne peut pas, s’il veut avoir la chance de lire dans sa vie un maximum de ce que l’humanité a de meilleur, lire toutes les éditions critiques et scientifiques en 7 volumes, avec variantes, etc.
L’honnête homme ne peut pas être chercheur, et encore moins dans tous les domaines et toutes les époques d’Homère à Pierre Michon.
Ce qui ne doit pas l’empêcher de connaître les limites et partis pris des éditions qu’il choisit ; d’où ce modeste site qui vous doit déjà beaucoup.
Biardeau est bien connue pour son refus, très dumézilien, des méthodes germano-indiennes de critique textuelle et génétique appliquées à la poésie sacrée de l’Inde antique (voir le résumé de Michel Defourny, « Le Mythe de Yayāti dans la littérature épique et purānique. Etude de mythologie indoue », Paris, Les Belles Lettres, 1978, pp. 13-15). Sa paraphrase abrégée du Mahābhārata repose donc elle aussi sur la Vulgate et non sur l’édition critique parue à Poona. Or je suis de ceux qui considèrent que le lecteur free of Sanskrit n’avait pas à se voir imposer ce genre de positions lourdes de nature à obérer gravement le caractère du texte traduit qu’on lui offre ; plus indolores et moins empreints de partis-pris sont les principes adoptés dans une traduction destinée au large public, mieux cette dernière remplira son rôle de passerelle et plus féconde elle a chance de se montrer. Hélas, Biardeau a décidé de graver dans le marbre d’une collection prestigieuse trop de ses nouveautés, en commençant par sa chronologie bouleversée du Mahābhārata et du Rāmāyaṇa (« introduction », pp. XXXIII-XXXV ; l’idée que le premier précède le second est séduisante, sans plus). Je me demande si le cas présent n’illustre pas l’avis énoncé, avec une alacrité toute britannique, par Martin L. West : « for editing a text it is not a sufficient qualification to have a long-standing interest in it, to have written articles or books about it, in short, to be firmly associated with it in the public’s mind. (…) Publishers are sometimes at fault here. Wishing to publish an edition of such-and-such an author to fill a place in some series, they turn to whoever is known to have busied himself with that author – no matter how – and invite him to undertake the task. Flattered by this compliment, and sharing the publisher’s assumption that his acquaintance with the text qualifies him to edit it, he readily accedes, not stopping to reflect that this will expose his philological weaknesses to his contemporaries and to posterity more ruthlessly than anything else. A better policy for publishers, when they want a good edition of something, would be to look for someone who has done a good edition of something else, even if he has not hitherto concerned himself with what they want » (« Textual Criticism and Editorial Technique. Applicable to Greek and Latin Texts », Stuttgart,Teubner, 1973, p. 62).