L’ensemble de l’article et de l’iconographie sont de mon ami Lombard. Le « nous » utilisé dans le corps de l’article n’est pas un nous de majesté, mais Lombard a la modestie de m’inclure dans la présentation. C’est bien sûr une usurpation : Tout est de lui.
N’hésitez pas à me proposer vos propres présentations sur les auteurs que vous aimez. Vous pouvez me contacter en passant par le « Salon », accessible en page principale.
Avec Jonathan Swift, Daniel Defoe (1660/61? – 1731) est l’un des deux plus grands auteurs anglais du XVIIIe siècle. S’il est le premier à exploiter la veine du roman historique, il est aussi considéré comme le père du roman d’aventures anglais et le créateur du roman réaliste moderne. Il est le troisième auteur anglais à être entré dans la collection de la Pléiade (dès 1959) après Shakespeare et Dickens.
Tout lecteur se doit d’avoir lu au moins une fois dans sa vie Robinson Crusoé, le roman le plus connu de Daniel Defoe. La littérature sur Robinson est si abondante que nous avons pensé aborder Daniel Defoe par son « autre chef-d’œuvre », Moll Flanders, pour le dépeindre sous un angle moins connu et susciter chez le lecteur généraliste curieux une envie de découverte et chez l’amateur féru de classiques le goût d’approfondir sa connaissance de la littérature anglaise.
Daniel Foe (il prendra plus tard le nom de Defoe) est né en 1660 ou 1661 à Londres. À l’âge de treize ans il entre dans une académie privée qui le forme à devenir pasteur. Puis il abandonne ce cursus à dix-huit ans et part voyager quelques années sur le continent européen.
En 1684 il épouse une fille de commerçant et s’établit comme bonnetier en gros et marchand « de vins, tabacs et autres marchandises ». En 1685 il s’engage pour une campagne dans l’armée. En 1687 il rejoint la corporation des bouchers puis, l’année suivante, il se réengage à nouveau dans l’armée aux côtés de Guillaume d’Orange. En 1692, à la suite de spéculations malheureuses, il fait faillite et contracte des dettes qu’il mettra de nombreuses années à payer. En 1695 il fonde une tuilerie.
Si l’on retrouve trace de quelques articles qu’il avait écrits à partir de 1689, ce n’est qu’en 1698 qu’il commence à publier des pamphlets politiques et des essais sur de multiples sujets de société. Il semble qu’à partir de 1701 il conseille secrètement le roi Guillaume III, mais ce dernier meurt l’année suivante, remplacé par la reine Anne. Foe publie alors un pamphlet qui lui vaut une forte amende, le pilori et un emprisonnement. Mais, sur le pilori, au lieu de lui jeter des pierres, la foule vient déposer des fleurs sur son corps et boire à sa santé !
Libéré de prison en 1704, il prend le nom de Defoe et voyage dans toute l’Angleterre et l’Écosse pour rendre compte de l’état du pays au secrétaire d’état qui l’a fait libérer. Il crée la revue The Weekly Review dans laquelle il publiera la plupart de ses articles. Dans les années qui suivent, il se voit confier diverses missions en Écosse, puis il retrouve la faveur de la reine Anne non sans mener quelques activités en parallèle comme l’exploitation d’une petite industrie de lainages. En 1713 il publie un nouveau pamphlet qui le renvoie à nouveau à la prison de Newgate. S’ensuit une période politique trouble dont Defoe se sort en louvoyant.
À partir de 1715 il dirige le mensuel The Mercuries Politics, puis il lance en 1719 le Daily Post auquel il contribuera jusqu’en 1725.
1719 est l’année qui lui permet de découvrir une nouvelle veine : il écrit successivement les deux parties de Robin Crusoé. À la suite de ce premier succès, il va publier de plus en plus de romans, jusqu’à sa mort en 1731. Ce sont ces romans qui sont édités dans les deux volumes de la Pléiade.
Edition originale française
de Moll Flanders (1895)
– photo de bouquiniste –
- Le contexte dans lequel paraît Moll Flanders
À partir de 1715, l’activité de Daniel Defoe est prodigieuse. Les brochures et pamphlets qu’il publie concernent aussi bien la politique et l’économie que la religion. Dans son introduction au second volume de la Pléiade, Francis Ledoux note : « Foisonnant d’idées, il était sans doute l’auteur le plus industrieux et le plus prolifique qui se puisse trouver dans les annales de la production littéraire ».
Dans son étude Daniel Defoe et ses romans (Paris, Presses universitaires de France, 1924, prix Marcelin Guérin de l’Académie française 1925), Paul Dottin établit une liste des œuvres de Defoe dont la nomenclature des titres occupe cinquante pages.
William Peterfield Trent, dans sa biographie Daniel Defoe, How to know him (Bobbs-Merril, Indianapolis, 1916), recense trois cent soixante-dix titres.
Actuellement on s’accorde à attribuer environ quatre cents ouvrages à la plume de Defoe, auxquels il faut ajouter de nombreux articles fugitifs écrits sous pseudonyme.
Daniel Defoe a réuni une documentation considérable, tandis que sa propre expérience nourrit son œuvre, que ce soit dans les domaines de la religion (sa formation de pasteur), du commerce (la mercerie), de l’industrie (la briqueterie), de l’armée (sa participation à l’expédition de Monmouth), des voyages, de la politique et même de la pègre (son séjour à la prison de Newgate).
Le responsable de l’édition Pléiade, Francis Ledoux, considère que vers 1718-1719 Defoe est « très compromis par son activité de journaliste politique clandestin et fort malmené par ses ennemis, harcelé par ses ennuis d’argent, en difficulté avec certains membres de sa famille, […] assailli par la maladie et cloué chez lui », ce qui explique qu’il doive exploiter autrement ses talents de conteur.
Ce n’est donc qu’à partir de l’âge de soixante ans – comme Cervantès – que Daniel Defoe écrit ses grands romans – biographies fictives et récits de voyage et d’aventures imaginaires.
La plupart de ses chefs-d’œuvre datent de cette période comprise entre 1719 et 1722 :
Robin Crusoé (The Life and Strange Surprizing Adventures of Robinson Crusoe… 1719)
Les Nouvelles aventures de Robinson Crusoé (The Farther Adventures of Robinson Crusoe, 1729)
Le Roi des pirates (The King of Pirates, 1719)
Mémoires d’un cavalier (Memoirs of a Cavalier, 1720)
Capitaine Singleton (The Life, Adventures and Piracies of the Famous Captain Singleton, 1720)
Journal de l’année de la peste (A Journal of the Plague Year, 1720)
Colonel Jacques (The History and Remarkable Life of the truly Honourable Col. Jacque…, 1722)
Moll Flanders (The Fortunes and Misfortunes of the Famous Moll Flanders…, 1722).
- Historique des éditions françaises et des traductions de Moll Flanders
Le titre complet de Moll Flanders est en réalité :
Heurs et malheurs de la célèbre Moll Flanders, qui naquit à Newgate, et, pendant une vie continuellement variée qui dura soixante ans, en plus de son enfance, fut douze ans une catin, cinq fois une épouse (dont une fois celle de son propres frère), douze ans une voleuse, huit ans déportée pour ses crimes en Virginie, et enfin devint riche, vécut honnête et mourut pénitente. D’après ses propres memorandums.
Le titre original anglais est :
The Fortunes and Misfortunes of the Famous Moll Flanders Who was born in Newgate, and during a life of continu’d Variety for Threescore Years, besides her Childhood, was Twelve Years a Whore, five times a Wife (whereof once to her brother) Twelve Years a Thief, Eight Years a Transported Felon in Virginia, at last grew Rich, liv’d Honest and died a Penitent.
La première traduction française répertoriée à la BNF est due à Marcel Schwob (1867-1905), écrivain, poète et érudit à qui l’on doit également une traduction d’Hamlet. C’est cette traduction que l’on retrouve principalement au cours des différentes rééditions, jusqu’à la version en Pléiade.
Francis Ledoux justifie le choix de cette traduction : « en France, l’admirable traduction de Marcel Schwob dans le style du XVIIIe siècle a beaucoup contribué à faire mettre le roman à sa vraie place, une des premières. On peut malheureusement y constater quelques coupures et le lecteur trouvera dans les notes les passages manquants. »
Première édition française :
Moll Flanders, Traduit de l’anglais par Marcel Schwob, de Daniel de Foë (sic), Paris : P. Ollendorff, 1895
Edition française de 1928
– photo de bouquiniste –
Rééditions dans la même traduction :
Moll Flanders, Paris, G. Crès, 1918
Moll Flanders, Paris, F. Bernouard, 1928
Moll Flanders, Paris, Gallimard, 1934
Moll Flanders, Paris, Gallimard, 1955
Moll Flanders, Paris, Gallimard, 1969
Moll Flanders, Paris, Gallimard, 1979
Signalons également la traduction de Denis Marion :
Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders…, Bruxelles, les Éditions Lumière (impr. de F. Desmet), 1946. In-8°, 343 p., couv. ill.
Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders…, Paris, Le Club français du livre, 1952
Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders…, Verviers, Gérard et Cie (impr. de Gérard et Cie), 1958. In-16, 477 p., couv. en coul.
Heurs et malheurs de la fameuse Moll Flanders, Paris : Club français du livre (Vichy, impr. Wallon), 1962
Moll Flanders, Verviers : Gérard et Cie ; Paris, l’Inter, 1965
Édition de référence :
Parce qu’elle retient la traduction de Moll Flanders par Marcel Schwob, parce qu’elle présente les passages alors inédits à la fin du XIXe siècle, parce qu’elle contient les plus grands romans de Daniel Defoe dont certains étaient inédits en français auparavant ou n’avaient fait l’objet que de traductions abrégées et enfin parce que les autres traductions de Francis Ledoux, Pétrus Borel et Marcel Schwob sont de haute tenue, pour notre édition de référence nous retenons les deux volumes parus en Pléiade chez Gallimard.
Les deux tomes ont paru sous la direction de Francis Ledoux, à qui l’on doit des traductions de Charlotte Brontë, Charles Dickens, Henri Fielding, Edgar Allan Poe, Horace Walpole et William Shakespeare. Aujourd’hui, Francis Ledoux reste surtout connu des amateurs pour ses traductions de Tolkien parues chez Christian Bourgois en 1972-1973.
Daniel Defoe – Romans T1 (Vie et aventures de Robinson Crusoé – Réflexions sérieuses de Robinson Crusoé – Journal de l’année de la peste – Les Aventures du capitaine Jean Gow – Vie et Actes de Jonathan Wild – Récit de la vie remarquable de Jean Sheppard) Pléiade Gallimard N°138 1959 1376 pages
Daniel Defoe – Romans T2 (Moll Flanders – Madame Veal – Mémoires d’un cavalier – Vie du capitaine Singleton – Histoire et vie du colonel Jacque – Lady Roxane) Pléiade Gallimard N°214 1969 1760 pages
- Adaptations de Moll Flanders au cinéma, à la télévision et sur scène
The Amorous Adventures of Moll Flanders film de Terence Young réalisé en 1965, avec Kim Novak, Richard Johnson, Angela Lansbury, George Sanders et Lili Palmer. (Photo ci-dessus)
Moll Flanders, adaptation télévisée pour la BBC en deux parties réalisée en 1975 par Donald McWhinnie, avec Julia Foster et Kenneth Haigh.
Moll !, adaptation musicale à la scène sur un livret de William SanGiacomo, musique et paroles de Thomas Young, jouée en 1982 par The Angola Community Theatre à Angola (Indiana).
Moll Flanders, adaptation musicale dirigée par Tony Castro, avec Josie Lawrence, 1993.
Moll Flanders, adaptation au cinéma inspirée du roman mais peu fidèle, avec Robin Wright Penn, Morgan Freeman et Stockard Channing, 1996.
The Fortunes and Misfortunes of Moll Flanders, deuxième adaptation télévisée pour ITV, assez fidèle au roman, avec Alex Kingston et Daniel Craig, 1996.
Moll Flanders, adaptation radiodiffusée pour la BBC Radio 4, de Nick Perry, 2016. Cette adaptation a été portée à la scène au Mercury Theatre de Colchester en 2018.
- Pourquoi lire Moll Flanders aujourd’hui ?
Inutile de divulguer l’argument du roman, l’auteur s’est en chargé dans le titre intégral !
Imprimé sur quelques trois-cents pages en Pléiade (ce qui correspond à cinq-cents pages dans les éditions de poche), sans division en chapitres ni sauts de paragraphe, ce texte dense peut paraître bien ardu au néophyte. Or il n’en est rien : le style de Daniel Defoe se veut descriptif, réaliste et direct, il ne comporte ni longues descriptions, ni états d’âme ni jugements de valeur. Tout le texte est à l’image d’un journal qui rapporte tels quels des faits vécus, à l’instar du Journal de l’année de la peste, ce texte si réaliste qui a longtemps été considéré comme un document historique. Au-delà de l’importance historique et littéraire du roman, on peut également apprécier Moll Flanders avec les yeux des lecteurs de son temps. Par le réalisme de son écriture, Daniel Defoe excelle à faire percevoir ses textes comme d’authentiques autobiographies.
Derrière le journal de cette héroïne qui semble condamnée à bien des errements pour survivre, il y a bien évidemment la peinture de la société anglaise du XVIIIe siècle. On entre particulièrement dans les méandres de la justice, on perçoit les difficultés de la condition féminine et on évolue dans ce qu’il est convenu d’appeler les bas fonds de Londres. Il faudra attendre plus d’un siècle pour retrouver un tel réalisme avec Dickens en Angleterre et Zola en France.
Moll Flanders constitue la synthèse entre le goût de Daniel Defoe pour l’aventure et la connaissance profonde de la société de son temps au sein de laquelle il a vécu de multiples facettes et qu’il s’est attaché à critiquer avec son tempérament et son engagement de whig. Certains lecteurs français peuvent lire le texte original sans trop de difficultés. Mais ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent s’engager dans une telle entreprise ont la chance de disposer de cette agréable traduction de Marcel Schwob, si bien écrite que l’on pourrait se demander parfois si le manuscrit original n’était pas français.
Dès sa parution en 1722, Moll Flanders a connu un succès considérable et fut piraté sous forme de chapbooks, ces brochures distribuées dans les chaumières par des colporteurs. Puis, à l’ère victorienne – qui a tout de même couru sur près d’un siècle -, le roman a connu le purgatoire des librairies « spécialisées » en raison du sujet considéré comme un peu scabreux et de son traitement jugé trop réaliste.
Concluons avec Francis Ledoux : « Il suffit que Defoe ait fait de Moll Flanders un personnage si humain, si vrai, si consistant, que nombreux sont ceux qui placent ce roman plus haut même que Robinson Crusoé ».
A vous de jouer maintenant !
En commentaires, libre à vous de :
- discuter des mérites et défauts des différentes éditions
- de la place de l’auteur ou de l’oeuvre dans la culture de son temps
- de l’importance de l’auteur ou de l’oeuvre pour un lecteur contemporain
- de ce qu’il représente pour vous
- des livres ou autres sources très recommandables pour comprendre l’auteur / l’oeuvre / son influence
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DANIEL DEFOE – Lady Roxane (1724)
Pour compléter la fiche consacrée à Moll Flanders, voici quelques éléments à propos de Lady Roxane, le dernier roman écrit par Daniel Defoe et considéré comme l’alter ego de Moll Flanders.
Titre original anglais :
The Fortunate Mistress, Or, A History of the Life and Vast Variety of Fortunes of Mademoiselle de Beleau, Afterwards Call’d the Countess of Wintselsheim, in Germany, Being the Person known by the Name of Lady Roxana, in the Time of King Charles II.
• Historique des éditions françaises et des traductions de Lady Roxane
Première édition française de Lady Roxane :
Lady Roxana ou L’heureuse maîtresse, de Daniel Defoe, traduit de l’anglais par Bernard-Henri Gausseron de Saint-Heraye, Paris, Librairie générale illustrée, 1885
Cette traduction a été rééditée aux éditions Autrement en 1993.
La version numérisée de la première édition française illustrée est disponible sur Gallica (BNF) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64540s/f7.item
Cette même traduction est disponible en livre audio gratuit avec la voix de Christine Sétrin : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/defoe-daniel-lady-roxana-ou-lheureuse-maitresse.html
Édition et traduction de référence de Lady Roxane :
La Maîtresse fortunée ou histoire de la vie et des fortunes très diverses de Mlle de Beleau, appelée ensuite en Allemagne la Comtesse de Wintselsheim ; qui est la personne connue sous le nom de Lady Roxane au temps du roi Charles II, traduit par Fernand Ledoux dans le cadre du volume Daniel Defoe – Romans T2 (Moll Flanders – Madame Veal – Mémoires d’un cavalier – Vie du capitaine Singleton – Histoire et vie du colonel Jacque – Lady Roxane) paru en Pléiade Gallimard N°214, 1969.
Autres éditions et traductions françaises de Lady Roxane :
Lady Roxana, de Daniel Defoe, traduit de l’anglais par Georges Garnier, Paris, Ed. Georges Crès, 1919
Lady Roxana ou l’Heureuse catin, de Daniel Defoe, traduit de l’anglais par Henriette de Sarbois, Paris, Robert Laffont, 1949.
La Maîtresse fortunée ou une histoire de la vie et des fortunes extrêmement variées de Mademoiselle de Beleau, plus tard appelée la Comtesse de Wintselsheim, en Allemagne, qui s’est fait connaître pendant le règne du Roi Charles II sous le nom de Lady Roxana, de Daniel Defoe, traduit de l’anglais par Denis Marion, Paris, le Club français du livre, 1957.
• Ressources en français sur Lady Roxane
Peu de ressources françaises sont disponibles en ligne, mais, une fois n’est pas coutume, l’article consacré à Lady Roxane sur Wikipédia est une véritable référence. Complet, structuré et bien documenté, il a reçu le label « article de qualité » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lady_Roxana_ou_l%27Heureuse_Catin