Jacques de Voragine

Bien que cet auteur ait publié l’un des grands succès du moyen-âge, il me faut avouer qu’il était en dehors de mon radar culturel. Par bonheur, Lombard, un intervenant fidèle de Propagerlefeu.fr, vient de réparer cette erreur. La notice qui suit ainsi que la chronique de l’édition Pléiade lui sont entièrement dues et je le remercie chaleureusement.

Voilà une bonne occasion de lancer un appel : Beaucoup d’auteurs ne sont pas encore traités sur Propagerlefeu.fr. Ceci est entièrement de la faute de votre hôte, qui consacre si peu de temps aux choses importantes. Chacun est donc le bienvenu pour intervenir sur le site et me proposer une recension d’édition de son auteur fétiche. 

Donnons la parole à Lombard :

Jacques de Voragine (v. 1228 – 1298), né vers 1228 à Varaggio (« Varage » près de Gênes) entre en 1244 dans l’ordre des Dominicains. Élu à 35 ans prieur de son couvent,  il devient gouverneur général des monastères dominicains de la provinée de Lombardie en 1267, puis évêque de Gênes en 1292. Il meurt en 1298.

Connu pour ses commentaires de Saint Augustin, il est l’auteur d’une Chronique de Gênes, mais il est surtout connu pour La Légende dorée, « une compilation des vies légendaires et miraculeuses des saints et saintes du calendrier liturgique » (résumé biographique d’après Teodor de Wyewa, l’un des traducteurs historiques de Jacques de Voragine en 1911).

Edition(s) de référence(s)

  • La Pléiade, édité en 2004 sous le n°504 de la collection, 1664 pages, 197 illustrations, prix de vente (au 1/4/2020) : 69 €

(Traduction du latin par Alain Boureau, Monique Goullet et Laurence Moulinier. Édition publiée sous la direction d’Alain Boureau avec la collaboration de Pascal Collomb, Monique Goullet, Laurence Moulinier et Stefano Mula. Préface de Jacques Le Goff)

Voir la première intervention ci-dessous pour un commentaire détaillé de cette édition.

Autres éditions historiques en français :

Première édition en français datant de  1843, traduction de Pierre-Gustave Brunet (réédition Classiques Garnier, 2014)

Deuxième édition en français datant de 1902, éditée en 3 volumes par Édouard Rouveyre, traduction de l’abbé par Jean-Baptiste Marie Roze (réédition  Garnier-Flammarion, collection texte intégral, 1967)

Troisième édition en français datant de 1911, éditée par la Librairie académique Perrin, traduction de Teodor de Wyzeva

Édition de luxe en 2000 en deux volumes chez Diane de Selliers, superbement illustrée avec des reproductions de 400 fresques, polyptyques, retables et peintures sur bois datant de la période 1260 (manuscrits) à 1470 (premiers volumes imprimés), reprise de la traduction de Teodor Wyzewa.

1 réponse
  1. Lombard
    Lombard dit :

    La Légende dorée de Jacques de Voragine dans La Pléiade.

    Relativement facile à lire, mais pour moi assez difficile à chroniquer, je vais quand-même tenter de donner mes impressions de lecteur sur ce volume de La Pléiade paru en 2004 dans sa « première version intégralement traduite en français ».

    Il faut d’abord reconnaître le mérite à Gallimard de publier un tel ouvrage dont l’importance historique est certes grande, mais qui n’est susceptible d’attirer qu’un nombre restreint de lecteurs et donc d’acheteurs. Ce volume est classé en littérature médiévale (reliure en cuir violet) et non en textes sacrés (reliure grise), genre qui semble retrouver un certain regain d’intérêt si on en croit les publications récentes : La Bible mise en coffret en 2018, Écrits apocryphes chrétiens en 1997 et 2005 (mis en coffret en 2019), Écrits gnostiques en 2007, Saint Jean de la croix et Thérèse d’Avila en 2012, Premiers écrits chrétiens en 2016 et Écrits spirituels du Moyen Âge en 2019, soit 6 nouveaux titres et deux coffrets en 20 ans sur les 13 tomes de textes sacrés que comporte la collection.

    De façon très rapide, un court historique : au Moyen Âge on dispose d’une part des martirologes, écrits dès le IVe siècle, « destinés à garder le souvenir des martyrs des premiers temps du christianisme », et d’autre part des collections de Vies de saints abrégées ou complètes. C’est au XIIIe siècle que les Dominicains se mettent à écrire des légendiers : ainsi, Jean de Mailly (Abrégé des actes et miracles des saints – 1225-1230), Vincent de Beauvais (Speculum historiale), Barthélémy de Trente (Livre d’épilogues sur les actes des Saints – 1245) sont des précurseurs du genre. Jacques de Voragine rédige sa Légende dorée en deux temps puis effectue des révisions permanentes, de 1265 jusqu’à la fin de sa vie en 1298. Il s’agit d’une « entreprise encyclopédique de collecte et de mise à jour » dont on lira la genèse complète sans l’excellente introduction de 110 pages, qui comprend également une passionnante étude des images – l’édition Pléiade reproduisant pour chaque saint et chaque fête liturgique un bois gravé.

    Dans sa préface, Jacques le Goff parle de « traduction bonne et bien éclairée par une introduction et des notes pertinentes d’une des œuvres les plus importantes et les plus caractéristiques du Moyen Âge ». Il est vrai que Jacques de Voragine privilégie la « légende » alors que les 500 pages de notes présentent plutôt le côté historique de la vie des saints dont il est question ici, si tant est que l’on connaisse précisément leur vie – pour certains on ne dispose que de peu d’écrits.

    J’ai abordé la lecture de La Légende dorée comme celle du Livre du Graal, avec le regard d’un lecteur que je souhaitais naïf et ouvert à toutes ces histoires un peu fantastiques, ces épopées, ces combats et ces vies édifiantes. Jacques le Goff réfute le terme de « merveilleux » mais je crois comprendre qu’il associe à ce terme une signification très précise du merveilleux, propre à l’historien du Moyen Âge qu’il est. En tant que simple lecteur, je n’ai pu m’empêcher de trouver « merveilleux » une partie de ces écrits – au sens de « changement de vraisemblable remplissant une fonction mythique » ( Jean-Pierre Andrevon).

    Voragine classe les saints en quatre catégories, les apôtres, les martyres, les confesseurs et les vierges. La plupart des saints du premier millénaire appartiennent plutôt à la catégorie des martyres ; les descriptions répétées de ces persécutions cruelles et de ces tortures inhumaines rend la lecture relativement pénible, parfois à la limite de l’insoutenable. À l’inverse, on peut se réjouir, voire s’émerveiller à la lecture des innombrables miracles supposés avoir été opérés soit directement par les saints thaumaturges, soit à leur invocation, soit enfin au contact de leurs reliques.

    Quand on relie le texte de Voragine aux notes historiques de fin d’ouvrage –abondantes et bien documentées -, on ne peut s’empêcher de trouver que toutes ces vies de saints et toutes ces fêtes religieuses (dont l’origine occupe plus d’un tiers de l’ouvrage) sont souvent basées sur des approximations historiques grossières dont Voragine assume la présence : incertitudes chronologiques, confusions des sources, erreurs de copistes, mélectures de manuscrits, absence de sources historiques – tout cela pouvant aller jusqu’à des hagiographies fautives voire à la création de saints composites. Il semble que seul le résultat importe : fournir au clergé des éléments destinés à édifier les ouailles.

    Certains chapitres, plus longs et très structurés, sont construits à la façon de raisonnements scientifiques ou philosophiques ; Voragine entend y démontrer la véracité de faits indéniables, mais, malgré leur apparence toute théologique, ses raisonnements sont extrêmement spécieux et constituent plutôt une accumulation de sophismes. La Légende dorée est bien un « légendier ».

    Concernant le façonnage de l’ouvrage, les cahiers étant imprimés par Normandie Roto Impression et reliés par Babouot, le défaut de reliure inhérent aux Pléiade du début des années 2000 est bien présent : près des coutures les cahiers gondolent légèrement, l’ouverture du volume est rendue difficile et la lecture n’est pas facilitée.

    Alors faut-il lire La Légende dorée dans La Pléiade ?

    Pour ceux qui ne lisent pas couramment le latin, il s’agissait semble-t-il à sa parution de la seule traduction française intégrale, donc en ce qui me concerne, le choix de l’éditeur ne se posait pas vraiment. Il existe bien une première traduction datant de 1902, mais qui reste difficile à trouver et qui semble-t-il n’est plus au goût des historiens. Par ailleurs, depuis la publication en Pléiade, une autre traduction a été publiée chez Diane de Selliers en 2014, dans une édition en deux volumes caractérisée par la qualité habituelle de cet éditeur (notamment une riche iconographie et une qualité de reproduction irréprochable). Cette dernière traduction est également disponible aux éditions Points dans la collection Sagesse.

    Tout simplement, on peut se poser la question : « faut-il lire cet ouvrage ? » Son importance historique le rend indispensable à ceux qui s’intéressent au Moyen Âge et à ceux qui veulent connaître un peu l’histoire des religions – et donc de notre société. Je ne dirai pas que l’ouvrage est ardu : le style est simple, c’est bien écrit et la traduction est même très agréable. Ce qui rend la lecture un peu ardue, c’est peut-être la longueur d’un texte (un bon millier de pages plus les indispensables notes) dont les chapitres et la Glose semblent parfois se répéter à l’infini en de subtiles variations autour des martyrs. Il reste tout de même des passages passionnants sur les saints les plus « connus » – apôtres, évangélistes, apocryphes ou pères de l’Église. Curieusement, plus on se rapproche de la fin de l’ouvrage, plus les chapitres principaux sont passionnants et bien écrits, dans la manière littéraire de l’épopée ou du roman courtois – à l’exception du dernier chapitre consacré à la Dédicace de l’Église, qui se pose en démonstration logique.

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